
Lorsque l’on visionne attentivement cette production de la Paramount, on se dit que La Conquête de l’Espace n’est pas le pire film de science-fiction que l’on a vu, mais c’est assurément le plus merdique. Et cette subtilité de la critique tient au fait que lorsqu’on a décidé de conter une épopée interplanétaire avec deux bouts de ficelles et un rouleau de scotch, on essaie au moins de mettre un peu de folie là-dedans, des aliens flippants, une planète préhistorique, n’importe quoi. On ne fait pas un truc aussi prétentieux que cette grande interrogation sur la légitimité de l’Humanité à s’accaparer l’Univers. Mais bon, ce n’est pas dans ces pages qu’on va cracher sur un petit film martien.
L’histoire :
Notre petite équipe d’astronautes se la coule douce dans la station spatiale internationale et se prépare gentiment à aller poser le pied sur la Lune, pour tâter le terrain. Mais un matin, courrier de la direction terrienne, Les gars, changement de plans, vous allez sur Mars. « Quoi? mais c’est quoi cette histoire? » Ça a été décidé hier. Rompez. Bon… Du coup, nos gaillards changent de cap mais en chemin, le chef d’équipe se demande si toute cette histoire de « conquête spatiale », c’est bien chrétien. Et il devient dingo (bon… on résume, hein…).

Autour du film :
La Conquête de l’Espace se veut une adaptation du bouquin du même nom, paru 6 ans plus tôt, sous forme d’essai. C’est en cours de production que l’orientation a été prise vers une oeuvre de fiction, alors que le film devait être un documentaire prophétique. On a donc récupéré l’illustrateur du bouquin pour le fond galactique, on a ajouté quelques personnages imaginaires et une dramaturgie, la connerie, et tout était parti pour faire un film foireux.
Le film a coûté sa réputation au producteur qui n’a rien fait pendant 5 ans après. Bien fait.
Ce qui a mal vieilli :
- Tout le monde clope dans la station spatiale
On n’est pas trop à cheval sur le règlement, mais merde, y’a même un japonais qui fume la pipe! - Le discours du Japonais (tiens, on en parlait il y a un instant…) pour expliquer la nécessité d’aller sur Mars
Gros malaise. Il prend la parole, solennellement, et explique à son supérieur américain que dans son pays, tout le monde vit comme des clodos, que si ils mangent avec des baguettes en bois, c’est parce qu’ils n’ont pas de quoi se fabriquer des couverts et que si ils sont tout petits, c’est parce qu’ils n’ont pas assez à bouffer. Si on ne fait rien, c’est ce qui va arriver à la Terre entière. Même en 1955, c’est dérangeant. - Un membre de l’équipage « rigolo »
On a beau dire, c’est quand même une bonne chose qu’on ait aboli cette tradition qui voulait que dans n’importe quel film grand public américain, il fallait un personnage un peu plus con que les autres pour faire marrer la galerie. Là, y’en a presque deux. C’est trop. Beaucoup trop. - A peu près tout le reste
Les maquettes pourries, le tableau de bord aussi complexe qu’une gazinière, les décors galactiques peints en vitesse, les visages déformés quand le vaisseau accélère, la simulation d’apesanteur, ça ressemble à une vaste blague, mais non, 5 ans après Destination Lune, La Conquête de l’Espace est un petit pas pour l’homme, un grand pas en arrière pour le cinéma.
3 raisons de le voir quand même :
- Un film sur Mars, ça ne se refuse pas : surtout à une période où la tendance était aux expéditions lunaires et aux guerres contre les Vénusiens.
- La station spatiale rappelle celle de 2001 l’Odyssée de l’Espace : même si on imagine que le mec qui aurait ramené cette maquette dans le bureau de Kubrick aurait pris une grande tarte dans la gueule (et il ne l’aurait pas volée).
> - Une dimension mystique inattendue : ça fait bien longtemps que le cinéma de SF ne s’interroge plus sur le risque d’un affront divin lors d’une exploration spatiale. Mais cette « conquête » de l’espace est-elle conforme aux enseignements de la Bible? Ne sommes-nous pas en train d’aller fouler avec nos grosses godasses les plates-bandes du Très Haut? 15 ans avant de poser le pied sur la Lune, la question de posait apparemment.
La Conquête de l’Espace en entier et en couleurs (oui, monsieur) :
Fiche artistique :
Conquest of Space – 1955 (ETATS-UNIS)
réal : Byron Haskin
avec : Walter Brooke, Eric Fleming, Mickey Shaughnessy